Le Prieuré Saint-Louis (FSSPX) de Nantes a accueilli récemment l’abbé Di Sorco pour une conférence sur le thème du sédévacantisme. Monsieur l’abbé Damien Dutertre analyse les arguments et objections avancées.
L’abbé Di Sorco commence par centrer le débat sur une fausse problématique: l’hypothèse du pape hérétique. Il s’efforce ensuite de démontrer que le sédévacantisme est, de toute façon, impossible dans ses conséquences. Monsieur l’abbé Dutertre apporte les nuances nécessaires pour ne pas tomber dans cette impasse théologique.
En passant, toutefois, l’abbé Di Sorco laisse échapper quelques « boulettes » difficilement pardonables à quelqu’un qui part du postulat qu’il a « étudié tous les théologiens. »
« Aucun théologien ne pense que… »
L’abbé Di Sorco, par exemple, déclare sans sourciller que : « il n’y a aucun théologien qui pense que le pape est infaillible, même quand il ne parle pas ex cathedra… » (1h04m20s); sous entendu: le pape peut donc enseigner l’hérésie quand il n’est pas ex cathedra. Il déclare en outre, de façon péremptoire : « il n’y a aucun élément dans la théologie classique, si on l’étudie bien, si on ne se borne pas à des slogans, il n’y aucun principe qui exclut la situation d’aujourd’hui. » (1h16m01s). La situation d’aujourd’hui, étant, selon l’abbé Di Sorco, que la hiérarchie (comprenez l’Eglise Enseignante) enseigne quotidiennement des erreurs, des disciplines, et une liturgie contre la foi.
Vraiment ?
Puisque l’abbé Di Sorco lui-même mentionne les Cardinaux Billot et Franzelin, en faisant croire qu’ils partagent ses conclusions, nous nous bornerons à les citer tous les deux ici, en juxtaposition avec ce que dit l’abbé Di Sorco.
Abbé Di Sorco :
« Il n’y a aucun théologien qui pense que le pape est infaillible,
même quand il ne parle pas ex cathedra. »
(1 h 04 mn 20 s)
Cardinal Billot :
Billot, De Ecclesia Christi, T. I, Ed. 5a, Romae, 1927, Th. XXXI.
« … Dans de très nombreuses encycliques, les derniers Pontifes exposent, certes, la doctrine catholique, selon que l’exige leur charge apostolique, mais non de façon à définir, c’est-à-dire non pas en donnant un nouveau jugement doctrinal, mais en instruisant davantage les fidèles de choses contenues dans la prédication de l’Église, colonne et fondement de la vérité.
Et bien qu’il semble qu’on ne doive absolument pas douter que les Pontifes soient infaillibles dans ce genre de documents promulgués à l’Église universelle (certainement en ce qui concerne les choses proposées directement et par elles-mêmes dans ces documents, comme on l’a déjà dit ailleurs), il ne s’agit pas cependant là d’une décision ex cathedra, dont parle le canon du Concile du Vatican. »
Abbé Di Sorco :
« Il n’y a aucun élément dans la théologie classique – si on l’étudie bien, si on ne se borne pas à des slogans – il n’y aucun principe qui exclut la situation d’aujourd’hui. » (1 h 16 mn 01 s)
Cardinal Franzelin :
Franzelin, De Divina Traditione et Scriptura, Ed. 3a, Romae, 1882,
« Le Saint-Siège apostolique, à qui Dieu a confié la garde du dépôt sacré de la révélation, et commis la charge et le soin de gouverner l’Église pour le salut des âmes, peut relativement aux opinions théologiques et à celles qui s’y rattachent, ou prescrire qu’on les adopte, ou les proscrire, comme devant être rejetées. Ces décisions ne sont pas prises uniquement dans l’intention de trancher infailliblement la vérité par une sentence définitive, mais en dehors de cela, par nécessité et dans l’intention de pourvoir simplement ou par rapport à certaines circonstances, à la sécurité de la doctrine catholique. […] Dans ces sortes de déclarations, il n’y a pas vérité infaillible de doctrine, puisque par hypothèse, on n’a pas voulu la trancher ; mais il y a la sécurité infaillible de doctrine. »
Sec. I, Cap. II, Sch. I, Pr. VII, pp. 127-131.
On pourrait donner des citations de théologiens à la pelle, et montrer que l’abbé Di Sorco ignore des principes théologiques communs. Le principe fondamental est clair ; laissons Mgr Fenton (qui fut théologien privé du Cardinal Ottaviani) nous l’expliquer :
Mgr J. C. Fenton :
Fenton, The Doctrinal Authority of Papal Encyclicals, Part I,
« Notre Seigneur a établi et ordonné l’Eglise de telle façon que ceux qui suivent les directives données à tout le royaume de Dieu sur terre ne seront jamais amenés à se ruiner spirituellement par cette obéissance. Notre Seigneur demeure dans Son Eglise de telle sorte que ceux qui obéissent aux directives disciplinaires et doctrinales de cette société ne peuvent jamais être amenés à déplaire à Dieu par leur adhérence aux enseignements et aux commandements donnés à l’Eglise militante universelle. Il ne peut y avoir ainsi aucune raison valable de mépriser l’autorité enseignante même non-infaillible du vicaire du Christ sur la terre. »
article paru dans l’American Ecclesiastical Review, Vol. CXXI, July-December 1949, p. 145.
Comment l’abbé Di Sorco peut-il soutenir qu’il n’y a rien dans la théologie classique qui s’oppose à son analyse ? Mystère. Tout au long de sa conférence, en effet, il nous rappelle constamment que le pape et la totalité des évêques ayant juridiction enseignent l’hérésie, promulguent une mauvaise messe et des canons « faux et contre la foi », et que le catholique a donc « le droit et le devoir de ne pas les suivre. » Le lecteur peut facilement constater la contradiction évidente avec la théologie classique, pourtant si vantée par l’abbé Di Sorco.
Des affirmations péremptoires aux accusations gratuites…
Monsieur l’abbé Di Sorco ne se contente pas d’invoquer l’autorité de grands théologiens alors que ceux-ci le contredisent mot pour mot. Il ne recule pas devant une accusation fausse, mais dont ses auditeurs ne pouvaient pas se méfier. L’abbé Di Sorco accuse, en effet, monsieur l’abbé Ricossa d’avoir « falsifié » l’enseignement d’un théologien. Le problème, pour monsieur l’abbé Di Sorco, c’est que l’enregistrement audio de la conférence incriminée (en italien) de l’abbé Ricossa est en libre accès sur internet. Chacun est ainsi libre de constater que cette accusation est fausse. L’abbé Ricossa n’a d’ailleurs pas tardé à répondre, preuves à l’appui: https://www.sodalitium.eu/un-livournais-a-nantes-medice-cura-teipsum/.
Il y aurait beaucoup d’autres choses à dire sur cette malheureuse conférence qui, si les énormités soulignés plus haut ne sont pas dénoncées, risque bien de tromper plus d’un catholique sans méfiance.

